À VIF

Kery James à la rencontre du théâtre/

Kery James, rappeur, compositeur, scénariste, artiste aux multiples facettes, qui emporte son public dans ses textes enflammés depuis tant d'années, innove dans son art et nous impressionne une fois de plus. Portés par une hâte incessante, nous nous sommes rendus au théâtre de Saint Nazaire pour voir sa pièce de théâtre À vif, représentée depuis 2017.

<i>À vif</i> est à l’origine un scénario de long métrage que l’artiste n’a pas réussi à faire financer au cinéma. Il l’a donc transformé en pièce de théâtre. Une sorte de saut dans l’inconnu. Accompagnée du discours engagé du rappeur, elle raconte l’affrontement de deux avocats autour de la question « L’état est-il le seul responsable de la situation des banlieues en France? ». Kery James dans le rôle de maître Souleymane, et Yann Landrein dans celui de maître Yann se confrontent lors d’un concours d’éloquence passionné, enflammé. Les deux avocats défendent des idées contraires. Le premier affirme que les citoyens sont responsables de leurs conditions tandis que le second assure que c’est l’état le responsable. Mais l’envie de Kery James d’aller au théâtre est présente depuis bien avant. Ce qui l’attirait était de rencontrer un autre public, et d’aller vers des personnes qui ne le connaissaient pas et qui avaient peut-être des idées différentes.
Cette pièce au discours porté avec force et engagement nous laisse sans voix. La réalité est là, elle est présente et nous sommes confrontés à celle-ci avec cette question si divergente : L’état est t-il le seul coupable de la situation des banlieues en France?
Il est impossible de ne pas reconnaître ses idées dans les deux discours des deux protagonistes. Thèse, antithèse tout y est pour toucher toutes les nuances de cette question complexe.

Bord de scène

Nous avons eu la chance avec le public, de rencontrer le rappeur, et Yannik Landrein à ses côté sur scène, ainsi que le metteur en scène Jean-Pierre Baro.
Vous sentez vous porte-parole des jeunes de banlieues ?
À cette question, Kery James répond « je connais les réalités des banlieues, j’en parle dans la musique, j’en parle dans mon art, j’en parle dans le théâtre, j’en parle au cinéma, après c’est difficile de se sentir porte-parole parce que prétendre l’être voudrait dire que les banlieues ne seraient qu’une. Il y a des gens qui pensent différemment, qui n’ont pas forcément les mêmes opinions politiques, il faut arrêter de penser que la banlieue est un groupe homogène » puis ajoute « donc je ne suis pas le porte-parole de la banlieue, j’espère que mon art va au-delà et qu’il a quelque chose d’un peu plus universel, mais en tout cas pour toutes mes prises de position j’essaie toujours de ne pas faire des choses qui nuisent aux habitants des banlieues ».
L’échange se poursuit et le metteur en scène Jean-Pierre Baro explique comment la pièce a été mise en place. « Je le connaissais (Kery James) parce que j’étais un grand admirateur de son travail musical et puis de ses propos, mais on se n’était jamais rencontrés, c’était une commande de mise en scène.

©DR

« je ne suis pas le porte-parole de la banlieue,
j'espère que mon art va au-delà »

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© Nathanael Mergui

Il m’a un peu mené en bateau au départ, j’étais censé avoir un texte entier et finalement le texte est arrivé plaidoyer par plaidoyer ». Il poursuit sur la mise en scène, « j’étais touché par le texte mais je ne savais pas comment le mettre en scène, et puis je pense que la mise en scène est ce qui se passe entre les gens, c’est ce qui se passe entre vous et moi, ce n’est pas ce que je dis qui est important ni ce que vous pensez, c’est ce qui se passe entre nous qui est important. Je me suis rendu compte que le personnage principal de ce texte n’était pas la mise en scène mais l’assemblée, les spectateurs. » Avec sincérité : « on est pris par l’amour de la parole par la puissance de la parole, je crois que c’est une chose très forte du texte ».
Kery James reprend la parole.
Il nous raconte que ce spectacle lui a permis de comprendre que « ces deux mondes peuvent se rencontrer mais ils ne se rencontrent pas autour des préjugés et des réponses qu’on apporte aux questions qui se posent, mais qu’ils se réunissent autour de la question ». Selon lui cette pièce lui a permis de grandir et de se dire qu’il faut « qu’on se pose beaucoup plus de questions et pas qu’à soi-même, qu’on ose les poser aux autres et à plus de monde possible ».
Lorsque nous lui demandons s’il existe une vraie différence entre écrire pour le théâtre et écrire pour le rap, Kery James nous répond : « Je ne crois pas qu’il y ait vraiment de différence parce que lorsqu’on écrit une chanson, si elle est bien écrite, c’est quand même une histoire qu’on raconte, et je pense que dans ma musique j’ai raconté des histoires et que là j’en raconte une autre » avant d’ajouter « si j’avais écouté les gens j’aurais peut-être pas osé parce que quand j’ai commencé à écrire le scénario de mon long-métrage, des gens me disaient attention ce n’est pas pareil, ils essayaient presque de me dire « tu n’es qu’un rappeur ne t’y aventure pas », mais je pense que quand on aime raconter des histoires on peut les faire passer de manière différente ».
Une pièce aux allures de leçons de vie, où chaque avis est écouté, encore programmée dans toute la France et à aller voir absolument.

Entretien et texte : Jeanne Lagoutte-Galiana