Droit des femmes de disposer de leur corps

Une conquête racontée par Michelle Jagot /

Michelle Jagot, ancienne médecin généraliste à Saint-Nazaire, a vécu de près le combat mené par et pour les femmes dans les années 1970 pour avoir le droit de disposer de leur corps. Rencontre.

Ce dimanche est gris et froid, le vent souffle dehors mais c’est au chaud dans son appartement, avec une tasse de café que le docteur Jagot me parle d’une époque où l’on a vu la femme devenir une citoyenne à part entière :

Avant mai 68
Quand la France sort de la Seconde Guerre mondiale, il n’est pas question d’avortement, le pays a besoin d’enfants. Si les femmes qui avortent risque la prison, elles mettent aussi leur vie en danger puisque les moyens de l’époque étaient rudimentaires (des aiguilles à tricoter non stérilisées) de plus elles prennent le risque de devenir stérile.
Jusqu’en 1968, les mœurs étaient très rigides, les écoles n’étaient pas mixtes et il ne fallait pas avoir de rapports sexuels avant le mariage. Et même si la pilule fut légalisée en 1967, il faut attendre 1972 avant le décret d’application de la loi et elle était dure à obtenir puisqu’il fallait l’autorisation du mari.

Les années 1970, un tournant
Puis dans les années 1970, les mœurs se libèrent peu à peu. On voit apparaître des associations telles que le planning familial qui tentent de faire changer la loi mais les députés et les sénateurs sont majoritairement des hommes conservateurs.
En 1971, 343 femmes signent un manifeste dans le journal Le Nouvel Observateur : Je me suis fait avorter.
« La justice était un peu perdue », me dit en souriant Michelle Jagot.
Puis 2 ans plus tard, 330 médecins reconnaissent dans les colonnes du même journal avoir pratiqué l’avortement, et demandent que la France reconnaisse aux femmes la liberté de disposer de leur corps.

Michelle Jagot droit de la femme

« Les esprits commençaient à changer mais rien n’était gagné »
« J’ai fait médecine de 1962 à 1970, et à l’époque il y avait peu de femmes médecins, alors je suis arrivée avec mon petit mètre cinquante dans un milieu assez machiste et on me disait que je n’allais pas durer mais tout c’est bien passé et j’ai réussi ! »
Michelle Jagot participait au planning familial et en 1971, avec trois autres médecins de Saint-Nazaire, ils créent un centre d’avortement clandestin. Les avortements se déroulaient dans leurs cabinets à leurs risques et périls puisque s’il y avait des complications ils risquaient la prison et si l’ordre des médecins apprenait, il leur aurait été interdit d’exercer. Les médecins hospitaliers qui étaient d’accord leur avaient prêté du matériel et appris comment faire.
Michelle Jagot m’explique que le planning familial donnait les rendez-vous aux femmes qui voulaient avorter. Si la grossesse était de moins de dix semaines les médecins pouvaient le faire à Saint-Nazaire mais au-delà, le planning familial organisait des voyages en Angleterre ou en Suisse, où les femmes étaient reçues dans des cliniques mais l’organisation était compliquée.

" Michelle Jagot participait au planning familial et en 1971, avec trois autres médecins de Saint-Nazaire, ils créent un centre d’avortement clandestin "

« Un jour, un homme a même dénoncé sa propre femme alors qu’elle partait en Angleterre pour avorter. »
Puis le 26 novembre 1974, Simone Veil prononce son discours pour son projet de loi pour la légalisation de l’avortement à l’Assemblée nationale.
Le combat est rude pour Simone Veil qui fait l’objet de pressions, de violences et d’attaques, mais le 17 janvier 1975, la loi autorisant l’Interruption Volontaire de Grossesse est adoptée.
Les médecins quittent donc la clandestinité, pour bénéficier du confort des hôpitaux : anesthésies, psychologues, chirurgiens…
« Ce fut très dur pour Simone Veil, elle a été la cible de tellement de violence. »
C’est donc dans des cadres officiels que Michelle Jagot et les autres médecins ont pu continuer de s’occuper des jeunes femmes qui souhaitaient avorter.
« J’ai travaillé pendant 30 ans au planning familial, me raconte Michelle Jagot, j’y allais une fois par semaine et j’intervenais aussi dans des collèges et des lycées. »
De la femme qui a déjà plusieurs enfants à la jeune fille dont c’était la première fois, elle me dit avoir vu beaucoup de cas différents : « mais ce n’était jamais une décision facile ».

Après l’adoption de la loi, les mœurs se relâchent sauf dans certains organismes religieux qui restent fermés à ce sujet.
Puis peu à peu les moyens de contraception se sont démocratisés comme la pilule qui devient plus facile à avoir ou encore le stérilet.
Et l’avortement devient lui aussi plus simple techniquement avec l’invention de la pilule abortive.

« Cependant encore aujourd’hui, rien n’est jamais complètement acquis, me rappelle gravement la médecin, il suffit de regarder autour de nous ». En effet dans de nombreux pays l’avortement est complètement interdit, c’est le cas par exemple du Salvador, du Nicaragua, de Haïti ou encore du Sénégal, du Congo, de Madagascar, mais aussi en Europe au Vatican, Saint-Marin et Malte. Et dans d’autres pays il est interdit sauf circonstances exceptionnelles (danger de mort pour la mère par exemple) comme par exemple en Pologne, en Irlande, au Yémen, en Birmanie ou encore au Guatemala et au Venezuela.

Texte et photo : Lou Le Gal