30 ans d’Escales

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Depuis 1992, pour être coupé du monde pendant trois jours sur une île, le festival Les Escales est le rendez-vous incontournable de la côte ouest. Le décor est planté. Des scènes, des artistes de légende ou émergents, entre un bassin et l’océan, un pont pour y parvenir. On y vient fin juillet pour découvrir des univers musicaux variés, différentes ambiances, croiser du monde, être entre potes ou en famille, tout ça sur fond de fête.
Identifié pour son attachement aux musiques sans frontière, le festival a offert ses scènes à Manu Dibango, The Skatalites, Rachid Taha, Oxmo Puccino, Stromae…et plus récemment, il s’est ouvert aux musiques actuelles moins traditionnelles, suivant l’évolution logique du monde musical et des envies du public. Il propose autant de hip-hop que de pop et de rock’n roll, que de la chanson ou de l’électro. Invitant Orelsan, Camille, Jeff Mills, Franz Ferdinand, Selah Sue, Jane Birkin…
2022, deux ans sans, le temps des retrouvailles. Hâte d’y être, avec l'envie d'écouter Clara Luciani, Oboy, Vladimir Cauchemar, Kungs…
Afin de lancer ce SINON spécial, on rencontre Patrice Bulting, mélomane passionné qui a créé et qui a su faire grandir Les Escales pendant plus de 20 ans, et Gérald Chabeau l'actuel directeur du festival. Introduction…

Patrice Bulting

Créateur des Escales

« Il est essentiel que ce festival soit l’expression de toute une ville… »

Le festival Les Escales est un événement nazairien à part entière. Qu’est-ce qui vous a poussé à le créér et quels sont les intérêts d’un tel festival ?
Le festival Les Escales est né d’une commande de Joël Batteux, ancien maire qui souhaitait pour sa ville un événement nouveau, culturel, festif et qualifiant. J’ai proposé un lieu et une formule. Le lieu : le Port de Saint-Nazaire où depuis sa naissance au 19e siècle se nouent l’échange et la circulation des marchandises et des hommes du monde entier. La formule : s’appuyer sur l’identité et l’ADN de la ville que constitue son ouverture au monde, sa dimension universelle, fraternelle, humaniste et Sociale. Les musiques du monde représentent un choix pour transposer ces valeurs. Les ports sont les lieux de naissance, de circulation et d’expansion des musiques. La dimension internationale s’est vite imposée et l’adhésion du public nazairien et hexagonal a été rapide. La programmation était le fruit de deux sources : une thématique forte liée à une prospection musicale dans le pays invité et la participation aux réseaux musicaux. Il est essentiel que ce festival soit l’expression de toute une ville et qu’il s’inscrive dans une dimension liée à l’économie sociale et solidaire.
Si vous deviez choisir une anecdote qui vous a marqué, laquelle pourriez-vous nous raconter ?
Je choisis 2 éditions symboliques qui donnent le sens du festival. l’édition « Méditerranée ». Malgré un contexte terroriste et des conseils d’annulation, des menaces de mort nous décidons de jouer le festival : choix de vie et de fraternité. Une édition intitulée « Les Terres Promises », c’était le choix d’inviter des artistes de peuples dont la nationalité n’est pas reconnue par tous et souvent contraints à l’exil.
Quel est l’artiste que vous avez programmé et dont vous avez envie de nous dire deux mots ?
Gilberto Gil leader du tropicalisme, musicien remarquable par son style, ses engagements, son ouverture et Christine Salem, découverte des Escales, parce qu’elle représente le Maloya, la pureté des musiques du monde, la liberté et l’exigence artistique.

Christine Salem © Franck Loriou

Gérald Chabaud

Directeur des Escales

« Le festival Les Escales doit être le reflet d’une mondialisation heureuse. »

Vous tenez les reines des Escales depuis 2015. Pouvez-vous nous dire ce que représentent pour vous les Escales aujourd’hui, à l’aube de son 30e anniversaire ? Comment voyez-vous l’évolution de ce festival ?
Le festival Les Escales est et a toujours été une invitation au voyage. Musical d’abord, mais aussi par la curiosité d’explorer le monde. J’évoquerais même l’idée d’être le reflet d’une mondialisation heureuse. La musique est un langage commun qui permet d’échanger au-delà de la barrière des langues et des différences culturelles. Quel que soit l’avenir du festival, nous devons garder cela en point de mire. Mais le festival est et doit rester un moment festif, de « communion » entre artistes et public, proposer des activités connexes (actions culturelles, soutien au territoire et appropriation des habitants, mise en lumière et aides à des projets locaux, …). Le festival, pendant 3 jours, c’est une petite ville joyeuse et solidaire, réunie par le plaisir partagé. L’évolution doit passer par l’attention à suivre et à accompagner l’évolution des musiques, les nouvelles pratiques, et les implications sociales et sociétales.
Si vous deviez choisir une anecdote qui vous a marquée, laquelle pourriez-vous nous raconter ?
Je choisis le concert de Jane Birkin, en 2018. Après une journée maussade et pluvieuse, posant la question de faire jouer un orchestre symphonique sous la pluie, la chance est avec nous. La météo se calme et le concert se déroule normalement. Arrive le dernier morceau du concert. Jane chante « La Javanaise », reprise en chœur par tout le public. Au fur et à mesure une grande partie du public commence aussi à verser des larmes. À la fin, Jane remercie tout le monde, avec sa gentillesse et sa délicatesse habituelles . Les musiciens qui l’accompagnent quittent la scène eux aussi très touchés par cette incroyable relation qui s’est nouée pendant ces quelques minutes. Une émotion fantastique, rare et précieuse !
Quel est l’artiste que vous avez programmé et dont vous avez envie de nous dire deux mots ?
Il y a, dans chaque édition du festival, des coups de cœur, dont j’attends le concert avec impatience. En tant que directeur, je n’ai que peu de créneaux disponibles pour aller voir et écouter les concerts. Je choisis donc avec précaution ces moments.
Je pense aux concerts de The Shoes, de Confidence Man, de General Elektriks, de Teto Preto, de Kiddy Smile. À ceux-là et tous les autres que nous invitons sur le festival, je n’ai qu’un seul mot à leur dire.
Merci.

General Elektriks © Lucile Mikaelian

Interview : Malo Huou